L'ongle, maître d'œuvre de la régénération des doigts





Marie-Neige Cordonnier est journaliste à Pour la Science.


La salamandre est le seul vertébré connu dont les pattes repoussent après amputation, même chez l’adulte. Chez les mammifères, en revanche, la capacité de régénération se limite… au bout des doigts. Et encore, tant qu’il leur reste assez d’ongle ! Les biologistes du développement le savaient depuis 40 ans, sans toutefois connaître le rôle de l’ongle dans la régénération. Makoto Takeo, de l’Université de New York, et ses collègues expliquent aujourd'hui en quoi l’ongle est nécessaire. Chez la souris, les biologistes ont identifié, sous la base de l’ongle, une petite population de cellules souches qui orchestrent la restauration du bout du doigt, selon un mécanisme qui présente des similitudes avec celui à l’œuvre chez la salamandre.
Chez l’amphibien, dans les heures suivant l’amputation d’une patte, des cellules de l’épiderme migrent pour fermer la blessure, suivies de cellules musculaires et de cellules assurant la cohésion (des fibroblastes). Les cellules de l’épiderme forment une sorte de chapeau qui produit des signaux déclenchant la croissance des autres cellules. Les nerfs se prolongent vers le chapeau et émettent à leur tour des signaux. Les autres cellules se dédifférencient alors – elles retournent à un état moins spécialisé – et prolifèrent, constituant un bourgeon innervé nommé blastème. À mesure qu’il grandit, le blastème forme le contour du nouveau membre, tandis que les cellules se différencient à nouveau en os, muscle, fibroblastes ou tendons.
Les biologistes ont montré que, chez la souris, une population de cellules souches sous la base de l’ongle joue un rôle proche de celui du chapeau épidermique chez la salamandre. L’ongle se régénère grâce à ces cellules souches qui se différencient continûment en épithélium (tissu qui recouvre les surfaces de l’organisme), lequel se kératinise en ongle. M. Takeo et ses collègues ont observé que cette différenciation est activée par une cascade de signalisation connue pour son rôle dans le développement embryonnaire, la cascade wnt. Et que cette même cascade active aussi la formation du blastème en attirant les nerfs vers l’extrémité du doigt, comme elle le fait dans l’épiderme de l’embryon. Cette innervation active une autre voie de signalisation, la cascade FGF, laquelle déclenche la prolifération de cellules souches du blastème, les cellules mésenchymateuses, et leur différenciation en os.
Sans activation par la cascade wnt, puis par la cascade FGF, le doigt ne se régénère pas… Or ces voies de signalisation sont aussi impliquées dans la régénération des pattes de la salamandre. Les cellules souches de l’ongle des mammifères seraient-elles les vestiges d’un mécanisme commun de régénération ? Elles ouvrent en tout cas une nouvelle piste de recherche pour la régénération des membres amputés. 

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